
Comme dans la plupart des maladies mentales, ce n’est pas seulement la personne atteinte d’un trouble bipolaire qui est concernée. L’entourage est lui aussi fortement impacté par la maladie. L’évolution de la famille et la gestion du quotidien varient en fonction des phases hautes et basses, mais aussi des phases de rémission. Le bien-être psychologique, émotionnel et social des deux parties est considérablement perturbé. Il s’avère que la personne en souffrance a besoin d’une écoute bienveillante, respectueuse et dans le non-jugement. Ce type d’écoute lui permet d’être reconnue et entendue dans ses difficultés et son mal-être.
Le vécu de la personne malade
La personne atteinte de trouble bipolaire souffre énormément :
- Solitude
Les amis s’écartent lorsque les limites de leur tolérance et compréhension sont dépassées. La famille aussi parfois. Quand la phase dépressive est trop basse ou quand la phase maniaque est trop haute, cela peut donc nuire aux relations amicales, familiales et sociales. Les conflits avec les collègues ou la hiérarchie isolent. Un licenciement dû à des comportements inadaptés coupe la personne du monde professionnel.
- Bouleversement des interactions familiales
La dégradation des relations conjugales et familiales a une répercussion non négligeable. Les conflits et affrontements familiaux et conjugaux mènent facilement à la séparation, au divorce ou à une rupture familiale.
- Fatigue mentale et physique
La perte d’envie et d’énergie, le manque d’intérêt, le pessimisme, les idées noires ou suicidaires renvoient à la personne malade une image dégradée d’elle-même. Un sentiment d’inutilité est ressenti, ainsi qu’une impression d’être un poids pour l’entourage. Très souvent, la personne souffrant de bipolarité a la conviction que sa situation est désespérée.
- Emotions et sensibilité
La personne vit ses émotions avec une intensité démesurée : des évènements anodins du quotidien peuvent être vécus avec un sentiment de bonheur extrême ou au contraire avec une profonde tristesse. Il ne lui est pas facile de contrôler cette hypersensibilité. Elle souffre de son incapacité à contrôler ses émotions, ses pensées et ses actions. Les hallucinations auditives ou visuelles, les délires peuvent provoquer de fortes angoisses, du désespoir et du désarroi. La phase dépressive est source de très grande souffrance et s’accompagne très souvent de tentatives de suicide. Autant les hauts que les bas sont source de souffrance et d’inquiétude parfois bien difficile à définir pour la personne malade. L’estime de soi et l’image de soi sont perturbés : démesurément élevés dans la phase maniaque et à l’inverse très faibles lors de la phase dépressive. Un sentiment d’incapacité, d’échec, de doute et d’incompétence envahit la personne en dehors de la phase maniaque.
- Troubles somatiques chroniques
Les oppressions respiratoires, les problèmes digestifs, les palpitations… accompagnent la phase dépressive.
- Comorbidités
Le trouble bipolaire est associé à d’autres problèmes de santé. Cela peut être de l’anxiété, du diabète, des problèmes cardiaques, une surconsommation d’alcool ou de toxiques, un problème de surpoids et d’obésité, des troubles des conduites alimentaires, des problèmes thyroïdiens….
- Facultés cognitives altérées et invalidantes
L’attention, la mémoire, le raisonnement, la concentration, les capacités d’apprentissage, le langage, l’exécution de tâches familières sont perturbés et peuvent réduire considérablement le niveau de fonctionnement de la personne malade.
- Stigmatisation
L’image négative de la maladie présente dans l’imaginaire collectif provoque stigmatisation peur et discrimination. La stigmatisation du trouble bipolaire entraîne une discrimination, conduit également à l’isolement et dissuade la personne de créer de nouvelles relations.
- Inquiétudes
La personne concernée souffre car elle s’inquiète pour ses enfants. La maladie est-elle héréditaire ? Vais-je transmettre la maladie à mes enfants ? Ces questions suscitent honte et culpabilité.
En cas d’hospitalisation, la personne est éloignée de son quotidien. Comment peut-elle conserver son rôle de père ou de mère ? Comment retrouver sa place au sein de la famille après une crise ?
Elle souffre de ne pas savoir, de ne pas comprendre ce qui lui arrive. « Pourquoi je reste des semaines, voire des mois au lit à pleurer sans raison ? » ou bien « Pourquoi je n’ai envie de voir personne ?
La personne se demande pendant combien de temps elle sera obligée de prendre son traitement médicamenteux et si un jour elle guérira de sa maladie.
Après l’épisode dépressif ou maniaque , la personne prend progressivement conscience des comportements et conséquences inhérents à ces phases. Souvent, elle n’est pas en mesure ni de comprendre, ni d’expliquer son comportement. Culpabilité, honte, dévalorisation de soi s’ajoutent à la souffrance ressentie.
Extrait du livre « Bipolaire, un message d’espoir » de Yann Layna . Ed. Le lys bleu 2021-page 177 :
« 80% des Maniaco-dépressifs vivent seuls ou ont des vies affectives laminées par la maladie. Tout simplement parce qu’il est très difficile pour le conjoint de savoir où se situe la personnalité de l’autre, aussi bien dans les périodes euphoriques, qu’on ne comprend pas, que dans les longues phases de dépression qu’on ne comprend pas plus. Pour le compagnon, c’est tout simplement insupportable. Et ce n’est pas facile non plus pour le maniaco-dépressif, qui va par exemple multiplier les infidélités pendant une phase maniaque, avec souvent des rapports sexuels non protégés, et qui culpabilise à mort une fois qu’il sera redescendu. »
Témoignage de Jean-Marc, 73 ans bipolaire diagnostiqué à l’âge de 20 ans. Extrait du site https://bipolairesitusavais.com/category/temoignages/
« La souffrance est invisible mais elle existe. Elle est redoutablement cachée par les troubles du comportement. »
L’entourage
Le trouble bipolaire affecte de manière considérable l’entourage, c’est-à-dire le conjoint, les parents, les enfants, les frères et sœurs ainsi que le reste de la famille. Les troubles du comportement, les débordements et l’expression démesurée des émotions vécues par la personne malade ont des répercussions considérables sur les proches.
L’entourage souffre de ne pas savoir. L’absence de diagnostic est une situation inconfortable. L’entourage est dans un état d’incompréhension car il réalise que quelque chose ne va pas sans pouvoir mettre des mots justes sur ce dysfonctionnement. Une fois le diagnostic posé, le manque de connaissance vis-à-vis du trouble bipolaire entrave la compréhension de ce qui se passe, et retarde l’aide et le soutien dont le proche a tant besoin. Souvent cette ignorance renvoie les proches à leur incompréhension, à leur impuissance et à leur culpabilité. L’entourage se sent démuni.
Dans un témoignage concernant le trouble bipolaire de son enfant, une maman y décrivit ses propres émotions. Elle parle de montagnes russes, de colère, de déni, de chagrin. Plus elle en a appris sur la maladie, plus la cohabitation avec cette dernière est devenue vivable. Elle a par la suite, pu ressentir d’autres émotions telles que la joie, la fierté et l’espoir.
Le proche malade est à risque d’abus d’alcool, de drogues. La maladie le conduit à avoir des comportements excessifs et dangereux : irritabilité, agressivité, invincibilité, rapports sexuels multiples non protégés, vitesse excessive, défis à relever, dépenses d’argent inconsidérées, tentative de suicide, etc. Les conséquences familiales, sociales et professionnelles découlant des conduites tenues lors des phases aiguës de la maladie accablent l’entourage qui a très difficile à les gérer. L’impuissance de l’entourage face à la détresse ou à l’exaltation de leur proche (ne sachant pas quoi faire, ni dire), rajoute de la souffrance à leur désespoir et à l’angoisse déjà bien présents.
Souvent le proche malade n’est plus à même de prendre les bonnes décisions concernant sa santé. Son état est tel qu’il représente un danger pour lui-même ou pour autrui. Dès lors, c’est aux proches de prendre les décisions.) Cela peut être le cas d’une demande d’internement* (renvoi fiche dédiée) (hospitalisation sans accord du malade) pour risque suicidaire ou pour risque d’agression dirigée contre autrui. Ces prises de décision sont source d’angoisse pour l’entourage mais aussi pour la personne malade. Elles peuvent être à l’origine de conflits entre les deux parties. Les hallucinations et les délires présents chez certaines personnes malades par leur caractère déconcertant en rajoutent à la perplexité de l’entourage. Le risque de rechute inhérent à la maladie est une véritable source de stress pour les proches.
Parmi l’entourage en souffrance, lorsque la personne est en couple, c’est généralement le conjoint qui endure le plus. Il doit entre autres supporter les dépenses démesurées, les pulsions sexuelles, les conflits, les retraits de permis, les actes suicidaires, etc. Il se plie au rythme de l’autre et subit les conséquences de ses comportements.
Qu’ils soient enfants, adolescents ou jeunes adultes, vivre avec un frère, une sœur, un papa, une maman atteinte de trouble bipolaire est un lourd fardeau à porter. C’est vivre des situations complexes et ne pas comprendre pas ce qui se passe. Voir son parent imprévisible avec des comportements inhabituels et étranges interroge, effraie ,attriste. Honte, peur, colère et tristesse sont des émotions ressenties par ces enfants confrontés à la violence, aux ruptures du quotidien et de la tranquillité. Des manques affectifs peuvent également se faire ressentir. L’hospitalisation du proche malade et son absence sont source de souffrance considérable pour les enfants. La crainte que la maladie se transmette est elle aussi bien présente. « Est-ce que moi aussi je vais devenir comme elle/lui ? ». Tout comme les adultes de l’entourage, les enfants ou adolescents se demandent comment pouvoir aider leur papa, leur maman, leur frère, leur sœur. L’inquiétude face à l’avenir et au devenir de la personne malade est une réalité.
L’observance médicamenteuse est également un sujet de grande discorde. Le fait que l’entourage contrôle, vérifie les prises du traitement médicamenteux est rarement bien vécu par la personne malade.
Les pathologies associées à la bipolarité telles que l’abus d’alcool ou de substances, les pathologies cardio-vasculaires, le diabète, etc. peuvent avoir des conséquences graves et sont une source supplémentaire d’inquiétude pour les proches. Malgré la difficulté et la souffrance engendrées par la maladie, le proche a un rôle à jouer. Dès lors, que peuvent faire le partenaire et les membres de la famille ? Quelles attitudes avoir face à la personne malade ? Etre présent. Etre là. Ne pas brusquer. Accompagner aux rendez-vous thérapeutiques. Veiller au respect des examens médicaux et les prises de sang . S’assurer de la bonne prise de médicaments. Etre compréhensif et patient car les crises sont récurrentes et cela prend du temps avant de trouver le chemin du rétablissement.
Afin d’aider au mieux son proche, il est conseillé à l’entourage d’apprendre à mieux connaître la maladie, de mieux l’approcher et de mieux la comprendre par le biais de la psychoéducation par exemple. Grâce à une meilleure compréhension, les proches vivent la maladie autrement. Elle impacte moins émotionnellement et est perçue comme moins menaçante. Le rapport à la maladie change.
» Il est difficile pour les personnes atteintes de troubles bipolaires de mettre des mots sur leurs maux car en fonction des périodes, les émotions s’en mêlent, et s’emmêlent … Alors imaginez pour les aidants, ils se sentent souvent impuissants, mais leur rôle peut être déterminant. Se comprendre soi-même est un véritable défi pour les patients, mais une étape essentielle pour se projeter dans l’avenir.«
Marie-Jeanne Richard, Présidente de l’Unafam.( Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques-France)